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Un sommeil de mauvaise qualité en tant que facteur de risque cardiovasculaire

De mauvaises habitudes de sommeil peuvent augmenter significativement le risque de maladies cardiovasculaires. Plusieurs études ont montré qu’un manque de sommeil entraîne directement une augmentation des valeurs de pression artérielle ainsi qu’un risque accru d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral. Quelques questions simples nous permettent d’évaluer les habitudes de sommeil de nos patients et de contribuer à réduire leur risque cardiovasculaire.

Keypoints

  • De mauvaises habitudes de sommeil constituent un facteur de risque cardiovasculaire important, en partie malheureusement encore sous-estimé, et favorise l’hypertension artérielle, l’obésité, la résistance à l’insuline, mais aussi directement le risque d’infarctus du myocarde et d’accident vasculaire cérébral.

  • Ce n’est pas seulement la durée de sommeil qui est importante, mais aussi sa qualité: l’idéal est de dormir 7 à 9h par nuit, d’avoir des heures de coucher et de lever stables (<1h de décalage d’un jour à l’autre) et de limiter au maximum le décalage du rythme de sommeil le week-end.

  • Tous les patients devraient être interrogés régulièrement sur leurs habitudes de sommeil et informés des bonnes habitudes de sommeil à adopter.

  • Un score simple avec évaluation de 5 facteurs permet d’évaluer rapidement la qualité du sommeil: durée du sommeil, chronotype, insomnie/réveils nocturnes fréquents, ronflement, somnolence diurne excessive.

Le sommeil a toujours fasciné l’Homme. Il a déjà été étudié dans d’innombrables travaux scientifiques ou non, mais de nombreuses questions restent encore sans réponse. Le sommeil est défini comme un état d’immobilité rapidement réversible et une réactivité fortement réduite. La régulation homéostatique du sommeil signifie qu’un manque de sommeil entraîne une augmentation de la pression du sommeil et de la fatigue, et qu’on dort davantage en réaction.1 La société d’aujourd’hui de plus en plus agitée, avec une accessibilité et une connectivité mondiales continues, des horaires de travail longs et irréguliers, ainsi que de nombreuses professions impliquant un travail en équipes, entraînent une détérioration progressive des habitudes de sommeil.2 Les habitudes individuelles, par exemple les sorties avec consommation accrue d’alcool le week-end, nuisent toutefois également de manière significative à un sommeil de qualité. Il est évident que de bonnes habitudes de sommeil sont essentielles pour notre santé physique comme mentale. Il semble donc logique que les troubles du sommeil et les habitudes de sommeil irrégulières puissent avoir un impact important sur notre santé. Cet aspect est pourtant encore peu pris en compte, tant par la population générale que par la médecine, c’est pourquoi nous souhaitons donner un aperçu plus détaillé dans cet article, notamment de la corrélation entre les mauvaises habitudes de sommeil et le risque de maladies cardiovasculaires.

Le lien entre troubles du sommeil et diverses maladies cardiovasculaires a été reconnu il y a de nombreuses années. La recherche accorde surtout une grande attention au syndrome d’apnées obstructives du sommeil, considéré comme un facteur de risque indépendant de fibrillation auriculaire et de maladie coronarienne, raison pour laquelle ce lien figure déjà dans les «2021 ESC Guidelines for cardiovascular disease prevention».3 En revanche, on manque malheureusement encore d’études randomisées contrôlées démontrant le lien entre les facteurs de risque cardiovasculaire ou les maladies telles que l’infarctus du myocarde ou l’accident vasculaire cérébral et les mauvaises habitudes de sommeil. C’est pourquoi les directives actuelles de l’European Society of Cardiology indiquent simplement qu’il existe un lien entre les troubles du sommeil ou une durée de sommeil anormale et les maladies cardiovasculaires, la durée de sommeil optimale pour la santé cardiovasculaire étant de sept heures.

L’American Heart Association va déjà plus loin: en 2010, elle a défini sept facteurs permettant de favoriser la santé cardiovasculaire des individus: l’alimentation, l’activité physique, le poids, la pression artérielle, la glycémie, le taux de cholestérol et le fait de ne pas fumer. L’année dernière, elle a ajouté le «sommeil» à ses recommandations et les a appelées «Life’s Essential 8».4 L’objectif est de montrer que de bonnes habitudes de sommeil sont essentielles pour la santé cardiovasculaire.

Le sommeil

Pour la circulation sanguine, le temps de sommeil est une période de repos. Pour le cerveau, il s’agit d’une symphonie de schémas d’activité successifs: pendant le sommeil, on passe par un continuum de différents stades qui s’enchaînent lentement. La classification la plus simple du sommeil chez les mammifères est divisée en deux types principaux: le sommeil paradoxal («rapid eye movement», REM) et le sommeil non paradoxal («non-rapid eye movement», NREM). Différentes mesures sont nécessaires pour objectiver ces stades, telles que l’électroencéphalogramme (EEG) pour l’enregistrement de l’activité cérébrale, l’électro-oculogramme (EOG) pour la mesure des mouvements oculaires et l’électromyogramme (EMG) pour la mesure de l’activité musculaire.5 Pendant l’éveil, l’EEG montre des ondes de faible amplitude et de différentes fréquences, à partir d’environ 8Hz. L’EOG révèlent des mouvements oculaires rapides («rapid eye movement», REM) ainsi que des clignements des yeux et l’EMG une activité musculaire de grande amplitude.

Chez l’homme, le sommeil NREM est divisé en trois stades6 qui s’enchaînent progressivement:

  • Stade 1 (transition éveil-sommeil et sommeil léger): ondes d’amplitude relativement faible, de fréquence variable entre 3 et 7Hz, pointes vertex et «sharp waves» à l’EEG

  • Stade 2 2 (sommeil stable): oscillation lente d’ondes lentes (<1Hz) avec des fuseaux de sommeil (ondes entre 11 et 16Hz pendant 0,5 à 3 secondes) et des complexes K (onde pointue négative de grande amplitude suivie d’une composante positive lente)

  • Stade 3 (sommeil profond): «slow-wave sleep», dominé par des ondes de grande amplitude et de faible fréquence (<4Hz) à l’EEG.

Le sommeil REM se caractérise par une interaction entre différents événements qui se déroulent simultanément: l’EEG révèle des ondes de fréquence variable et de faible amplitude. L’EMG montre une activité musculaire très faible ou complètement abolie (atonie) et l’EOG permet d’objectiver des mouvements oculaires rapides, lesquels s’accompagnent souvent d’augmentations transitoires de courte durée de l’activité musculaire. En plus de ces facteurs, il existe d’autres signes de sommeil REM mesurables par polysomnographie, tels que l’activité pontogéniculo-occipitale, l’activité thêta tonique, les myoclonies – généralement dans les membres inférieurs – les fluctuations rapides du rythme cardiaque et de la température corporelle centrale, et l’érection pénienne ou le gonflement clitoridien. Le sommeil REM est également le stade au cours duquel nous faisons des rêves animés. Cependant, nous rêvons aussi bien pendant le sommeil NREM que REM.7

Au cours d’une nuit, nous traversons plusieurs cycles de transitions du stade 1 du sommeil NREM vers les stades de sommeil plus profonds, puis vers le sommeil REM et inversement (Fig.1). La première moitié de la nuit est toujours dominée par le sommeil NREM, ce qui signifie que nous avons de longs épisodes de sommeil profond stable, tandis que la deuxième moitié est dominée par le sommeil REM.

Fig. 1: Déroulement des cycles de sommeil pendant une nuit

La manière la plus simple d’évaluer le sommeil est certainement sa durée. Il ne faut cependant pas oublier qu’il existe d’autres facteurs contribuant à un sommeil de qualité. Il n’existe malheureusement aucune définition globale du sommeil de qualité, c’est pourquoi un groupe de recherche de l’université de Tulane, Nouvelle-Orléans, a développé l’«Healthy Sleep Score» pour évaluer de manière prospective la corrélation entre les habitudes de sommeil et l’apparition d’un risque cardiovasculaire en se basant sur les données de 300000 patients issus de la biobanque britannique.8 Ce score aide à saisir de manière simple et rapide les habitudes de sommeil d’un individu, et à évaluer ainsi si ce sont de bonnes ou plutôt de mauvaises habitudes (Tab.1).

Un sommeil de qualité est défini dans le «Healthy Sleep Score» comme un chronotype précoce (personne matinale), 7 à 8h de sommeil par nuit (alors que la littérature définit une durée de sommeil optimale à 7 à 9h par nuit en moyenne), jamais ou rarement d’insomnies, peu de réveils nocturnes, aucun ronflement ni somnolence diurne régulière.

Tab. 1: «Healthy Sleep Score» avec durée de sommeil modifiée selon la littérature actuelle8

Relation entre le sommeil et le système cardiovasculaire

Toutes les fonctions cardiovasculaires, telles que la fréquence cardiaque, la pression artérielle, le tonus vasculaire et la fonction endothéliale, présentent une régulation circadienne étroite.9 Physiologiquement, les valeurs de pression artérielle sont plus basses la nuit pendant le sommeil que le jour pendant l’activité physique. Connu sous le nom de «nocturnal dip», ce phénomène est provoqué par différents mécanismes tels que la position couchée, la relaxation musculaire et la réduction du tonus sympathique. Il a cependant été objectivé ces dernières années que ce phénomène n’existe pas chez certains individus, qu’on appelle «non-dippers». Les personnes sans baisse physiologique de la pression artérielle pendant la nuit peuvent avoir des valeurs de pression artérielle normales ou élevées pendant la journée. On sait toutefois que le risque de maladies cardiovasculaires est supérieur chez les «non-dippers» que chez les patients présentant un «nocturnal dip» physiologique, et une durée de sommeil trop courte comme trop longue a pu être associée à une diminution du «nocturnal dip». De nombreuses études ont également révélé que le manque de sommeil entraînait directement une augmentation de la pression artérielle.10 De plus, plusieurs études ont montré que l’augmentation de la pression artérielle après un manque de sommeil est plus marquée chez les femmes que chez les hommes, et que la pression systolique augmente plus fortement que celle diastolique.11 Le sommeil profond (stade 3) semble notamment être très important. Chez les patients chez qui ce «slow-wave sleep» est supprimé, des valeurs de pression artérielle plus élevées ont été objectivées.12 Parallèlement, il a également été démontré qu’avec une durée de sommeil de moins de 5h par nuit, le sommeil NREM, c’est-à-dire la partie réparatrice du sommeil, est significativement raccourci et que la circulation sanguine est donc moins en mesure de ralentir. Les valeurs de pression artérielle les plus basses sont documentées avec 7 à 9h de sommeil par nuit. Il est important de savoir que non seulement le manque de sommeil, mais aussi une durée de sommeil supérieure à 9h par nuit entraînent une augmentation des valeurs de pression artérielle, bien que le mécanisme ne puisse pas encore être expliqué.

La fonction endothéliale est également influencée par de mauvaises habitudes de sommeil et le tonus sympathique augmente fortement. En cas de manque de sommeil, la vasodilatation médiée par le flux, qui peut être facilement mesurée par échographie, est limitée et les taux de noradrénaline matinaux sont élevés. Une petite étude intéressante a même montré de manière prospective que chaque heure de sommeil en moins augmentait le risque de formation de nouvelles calcifications coronaires de 33% et que les sujets dormant 5h ou moins par nuit présentaient un risque nettement plus élevé de formation de nouvelles plaques coronaires (mesuré au moyen du score calcique lors de la coronarographie par TDM au point zéro et après 5 ans). Cet aspect était également plus prononcé chez les femmes que chez les hommes.9

Les mauvaises habitudes de sommeil continuent d’influencer fortement le métabolisme du glucose et de l’insuline. Un manque de sommeil prolongé entraîne un ralentissement du métabolisme au repos et augmente la glycémie postprandiale. Les mécanismes de rétroaction hormonale sont activés et des modifications réciproques des hormones leptine, laquelle régule normalement l’équilibre énergétique et génère une sensation de satiété, et ghréline, laquelle augmente l’appétit, ont pu être observées, ce qui entraîne une augmentation de l’apport énergétique et une diminution de la dépense énergétique et donc, finalement, une prise de poids. Des effets négatifs supplémentaires du manque de sommeil sur le profil lipidique ont été observés, en particulier chez les adolescents.11

Enfin, les collègues de l’université de Tulane ont pu documenter avec le «Healthy Sleep Score» que le risque de maladies cardiovasculaires diminue plus les habitudes de sommeil d’un individu sont bonnes. Une autre première étude prospective sur la régulation du sommeil a pu montrer que les individus ayant les habitudes de sommeil les plus irrégulières avaient un risque deux fois plus élevé de développer des maladies cardiovasculaires et d’en mourir par rapport à ceux ayant les habitudes de sommeil les plus régulières.

Une corrélation claire peut être établie entre de mauvaises habitudes de sommeil et les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires ainsi que les maladies cardiovasculaires elles-mêmes. Ces mauvaises habitudes de sommeil entraînent un profil de risque cardiovasculaire plus élevé, ce qui a été directement démontré dans diverses études. Pour que nos directives puissent être étendues en conséquence, de nombreuses études sont toutefois encore nécessaires, notamment des essais randomisés contrôlés. L’objectif des études actuelles est même d’influencer directement et positivement le système cardiovasculaire par stimulation du sommeil profond réparateur. Nous espérons que les résultats de ces travaux nous fourniront d’autres possibilités de réduction du risque cardiovasculaire à l’avenir. Chaque médecin peut néanmoins déjà saisir les habitudes de sommeil de ses patients, grâce à une petite extension de l’anamnèse, et les sensibiliser ainsi au risque accru d’éventuelles mauvaises habitudes de sommeil pour leur santé. Cela pourrait non seulement réduire le risque cardiovasculaire, mais présenterait également d’innombrables autres avantages pour la santé.

1 Campbell SS, Tobler I: Animal sleep: a review of sleep duration across phylogeny. Neurosci Biobehav Rev 1984; 8: 269-300 2 Akerstedt T, Nilsson PM: Sleep as restitution: an introduction. J Intern Med 2003; 254: 6-12 3 Visseren FLJ et al.: 2021 ESC Guidelines on cardiovascular disease prevention in clinical practice. Eur Heart J 2021; 42: 3227-337 4 Lloyd-Jones DM et al.: Life’s essential 8: Updating and enhancing the American Heart Association’s Construct of cardio-vascular health: A presidential advisory from the American Heart Association. Circulation 2022; 146: e18-43 5 Datta S, Maclean RR: Neurobiological mechanisms for the regulation of mammalian sleep-wake behavior: reinterpretation of historical evidence and inclusion of contemporary cellular and molecular evidence. Neurosci Biobehav Rev 2007; 31: 775-824 6 Thakkar MM et al.: Alcohol disrupts sleep homeostasis. Alcohol 2015; 49: 299-310 7 Siclari F et al.: Dreaming in NREM sleep: A high-density EEG study of slow waves and spindles. J Neurosci 2018; 38: 9175-85 8 Fan M et al.: Sleep patterns, genetic susceptibility, and incident cardiovascular disease: a prospective study of 385 292 UK biobank participants. Eur Heart J 2020; 41: 1182-9 9 Cappuccio FP et al.: Sleep and cardio-metabolic disease. Curr Cardiol Rep 2017; 19: 110 10 Covassin N et al.: Sleep duration and cardiovascular disease risk: epidemiologic and experimental evidence. Sleep Med Clin 2016; 11: 81-9 11 Cappuccio FP et al.: Gender-specific associations of short sleep duration with prevalent and incident hypertension: the Whitehall II Study. Hypertension 2007; 50: 693-700 12 Sayk F: Effects of selective slow-wave sleep deprivation on nocturnal blood pressuredipping and daytime blood pressure regulation. Am J Physiol Regul Integr Comp Physiol 2010; 298: 191-7

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