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Oncologie gériatrique: Responsabilité et perspectives du personnel infirmier

La conciliation de la gériatrie et de l’oncologie est essentielle pour obtenir des résultats optimaux pour les patientes. Il est essentiel de classer les personnes âgées atteintes de cancer en trois catégories: en bonne forme, vulnérables et fragiles, afin d’éviter le sous-traitement et le surtraitement toxique. Le personnel infirmier joue un rôle important dans le dépistage et l’évaluation gériatriques. Le centre d’oncologie et d’hématologie de Thoune – Spiez – Oberland bernois de l’hôpital Simmental-Thun-Saanenland (STS) AG met en œuvre des approches innovantes pour l’excellence dans la prise en charge des patientes âgées atteintes de cancer*.

Keypoints

  • Le personnel infirmier en oncologie est dans une position optimale pour administrer le questionnaire G8 lors d’une première consultation, ainsi que d’autres domaines de l’évaluation gériatrique (p. ex. soutien social, activités de la vie quotidienne, cognition, aspects psychologiques, état nutritionnel).

  • L’évaluation gériatrique s’est établie pour déterminer l’état de santé des personnes âgées et conduit à des plans thérapeutiques sur mesure ainsi qu’à une meilleure qualité de vie.

  • La collaboration au sein d’une équipe interprofessionnelle est essentielle pour assurer un traitement optimal des patientes âgées atteintes de cancer.

Chaque année en Suisse, il y a plus de 45000nouveaux cas de cancer.1 Parmi eux, près de 15000 concernent des personnes de plus de 75ans lors du diagnostic.1 La tranche d’âge des plus de 75ans est actuellement le groupe de personnes touchées par le cancer qui connaît la plus forte croissance.2 La plupart du temps, le cancer n’est pas le seul problème de santé.

En moyenne, les personnes de plus de 75ans souffrent de trois maladies chroniques (multimorbidité), ce qui entraîne la prise régulière de plusieurs médicaments en dehors du traitement oncologique (polypharmacie).3,4 Ces phénomènes augmentent la complexité du traitement oncologique des personnes âgées atteintes de cancer. Les patientes ont un risque significativement supérieur de subir des effets secondaires importants de leur traitement anticancéreux, ainsi qu’une probabilité accrue de résultats thérapeutiques défavorables comme l’hospitalisation, la dépendance aux soins et le décès.5

Évaluation gériatrique

En gériatrie, l’évaluation gériatrique (EG) est établie depuis longtemps et constitue un instrument bien validé pour évaluer l’état de santé des personnes âgées. Dans le cadre de l’EG, différentes dimensions sont systématiquement évaluées: fonctions quotidiennes, mobilité, cognition, état nutritionnel, psychisme et soutien social (Tab. 1).6-12 Les médicaments pris actuellement et les maladies concomitantes sont consignées à cette occasion. L’EG fournit ainsi une vision globale des patientes concernées.

Tab. 1: Instruments d’évaluation recommandés pour l’évaluation gériatrique. Modifié après 6-12

En oncologie, plusieurs études ont montré que la réalisation d’une EG favorise l’allocation du traitement.13 Au total, après une EG, environ un tiers des patientes subissent une adaptation de leur régime thérapeutique; en règle générale, en faveur d’un traitement moins intensif, sans que cela réduise l’espérance de vie.4 Les toxicités liées à la chimiothérapie peuvent donc être réduites et la satisfaction des patientes et des familles peut être améliorée en ce qui concerne les objectifs thérapeutiques, la communication et le traitement.6,13 De plus, l’EG permet une planification thérapeutique individuelle basée sur l’âge biologique plutôt que chronologique.13

Intégration de l’évaluation gériatrique dans la pratique

Dans le projet «Oncologie gériatrique à l’hôpital de Thoune», l’EG a été systématiquement intégrée dans le processus de traitement des personnes âgées atteintes de cancer. Le processus s’inspire du modèle établi en France avec un dépistage systématique des personnes atteintes de cancer à partir de 75ans et une EG en cas de dépistage positif.14

La mise en œuvre de l’EG nécessite beaucoup de ressources: elle exige divers instruments d’évaluation ainsi que du personnel formé. En revanche, un dépistage ne prend que cinq à dix minutes pour distinguer les patientes qui ont besoin d’une EG de celles qui n’en ont pas besoin.15

Au Centre d’oncologie et d’hématologie de Thoune – Spiez – Oberland bernois, le dépistage systématique à l’aide du questionnaire validé G8 (Geriatric-8) est effectué par le personnel soignant du service d’oncologie chez toutes les patientes de plus de 75ans lors de la première consultation.15 Pour les patientes dont le dépistage est positif et qui ont besoin d’un traitement oncologique systémique, une EG est ensuite réalisée dans le cadre d’une consultation interprofessionnelle. Dans l’EG, l’état de santé des patientes est évalué et, sur cette base, des recommandations sont formulées concernant le traitement oncologique et, en cas de restrictions, le traitement de soutien.

L’EG permet de mieux évaluer la capacité thérapeutique des personnes concernées et de procéder à une classification en trois groupes de patientes selon une procédure standardisée (Fig. 1): les patientes en forme (traitement standard possible), les patientes vulnérables (adaptation du traitement standard nécessaire) et les patientes fragiles (concept de traitement de soutien). L’objectif est d’éviter, d’une part, le sous-traitement chez les patientes en bonne santé et, d’autre part, le surtraitement toxique chez les patientes fragiles.13,16 Un deuxième objectif est de fournir des soins durables à long terme aux personnes âgées atteintes d’un cancer, tout en préservant la meilleure qualité de vie possible, en tenant compte des préférences individuelles.13,17

Fig. 1: La patiente tolérera-t-elle le traitement et en bénéficiera-t-elle? Modifié d’après Balducci et Extermann16

Afin de parvenir à une prise de décision optimale et commune pour un traitement et d’autres interventions, il est essentiel que l’équipe interprofessionnelle tienne compte des souhaits, des attentes ainsi que de la compréhension du cancer des patientes et de leurs proches pendant l’EG.17 La collaboration avec les médecins de famille impliqués revêt une importance particulière dans ce contexte, car ils suivaient souvent les personnes concernées des années avant le diagnostic de cancer et traitaient les comorbidités, y compris la gestion de la polypharmacie. C’est pourquoi un formulaire est envoyé au médecin de famille et est effectué avant le rendez-vous d’EG.

Outre une équipe centrale d’oncologues, du personnel infirmier et de physiothérapeutes, l’oncologie a besoin, pour la prise en charge des patientes cancéreuses âgées et de leur famille, d’un grand nombre d’autres prestataires de services comme des psycho-oncologues, des diététiciennes, des gériatres, des gérontopsychiatres, des aumôniers, l’association Pro Senectute, la Ligue bernoise contre le cancer, etc. Le projet «Oncologie gériatrique à l’hôpital de Thoune» est soutenu financièrement par la Fondation du cancer Thoune-Oberland bernois.

Déroulement de l’évaluation gériatrique

L’EG dure un total deux heures au centre d’oncologie et d’hématologie de l’hôpital de Thoune. Pendant les 45premières minutes de la consultation, un membre du personnel infirmier recueille les antécédents sociaux, les activités de la vie quotidienne (AVQ), les activités instrumentales de la vie quotidienne (AIVQ), l’état nutritionnel ainsi que l’état cognitif et émotionnel de la patiente, en présence d’une personne de confiance. L’anamnèse sociale est réalisée au moyen d’anamnèse des soins, centrée sur la famille de l’oncologie et du génogramme/écogramme, qui repose sur la théorie du modèle d’intervention et d’évaluation de Calgary, de Wright et Leahey.18 La représentation graphique de la situation familiale met rapidement en évidence les ressources existantes ainsi que les interventions à mettre en place.18

Immédiatement après, 30minutes sont consacrées en physiothérapie à la mesure de la force de préhension de la main, de la force d’extension du genou ainsi que de la vitesse de marche pour identifier une sarcopénie (test de la vitesse de marche sur 4mètres).6,10 Pour évaluer le risque de chute, on utilise l’indice DEMMI (de Morton Mobility Index).11

Le personnel infirmier, le physiothérapeute et l’oncologue discutent ensuite des résultats obtenus et des mesures à prendre. Pendant les 45dernières minutes, l’oncologue discute des résultats avec la famille concernée, enregistre ses besoins et ses objectifs ainsi que les comorbidités et la médication afin de prendre ensemble une décision thérapeutique.

Plus tard, l’oncologue responsable de la consultation d’oncogériatrie rédige un rapport qui est transmis au médecin de famille ainsi qu’à l’oncologue traitant. Ce rapport contient les résultats et les interprétations des instruments de l’EG, l’évaluation du niveau de forme selon la classification de Balducci16, les objectifs thérapeutiques individuels de la patiente, la recommandation de traitement oncologique (reposant sur les directives de la Société internationale d’oncologie gériatrique[SIOG19]), y compris les recommandations pour l’ajustement posologique ainsi que d’autres mesures de soutien.

Le personnel infirmier met directement en place les interventions de soutien nécessaires (p. ex. inscription auprès des prestataires de soins et de soutien ambulatoires [Spitex], orientation vers Pro Senectute, etc.). La collaboration étroite au sein de l’équipe interprofessionnelle permet une meilleure planification de la santé des patientes, une réduction des complications et des toxicités liées à la chimiothérapie, une amélioration de l’état fonctionnel et de la qualité de vie, ainsi qu’une plus grande satisfaction des patientes et de leurs proches concernant la communication.13

Notre projet au centre d’oncologie et d’hématologie de l’hôpital de Thoune démontre que la mise en œuvre d’une EG est réalisable dans la pratique quotidienne lorsque divers groupes professionnels collaborent ensemble pour le bien-être des patientes et de leur famille.

*Pour faciliter la lecture, seule la forme féminine est utilisée dans cet article. Cela englobe bien entendu des personnes de tous les sexes.

1 Office fédéral de la statistique (OFS): 2023. En ligne sur https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/sante/etat-sante/maladies/cancer.html . Consulté le 28décembre 2023 2 Bluethmann SM et al.: Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2016; 25(7): 1029-36 3 Dodel R: Der Nervenarzt 2014; 85(4): 401-8 4 Guthrie B et al.: BMJ 2012: 345: e6341 5 Hurria A et al.: J Clin Oncol 2012; 34(20): 2366-71 6 Dale W et al.: J Clin Oncol 2023; 41(26): 4293-312 7 Heidenblut S, Zank S: Geropsych 2014; 27(1): 41-9 8 Burhenn PS et al.: J Geriatr Oncol 2016; 7(5): 315-24 9 National Comprehensive Cancer Network® (NCCN): 2023). En ligne sur https://www.nccn.org . Consulté décembre 2023 10 Cruz-Jentoft A et al: Age Ageing 2019; 48(1): 16-31 11 de Morton NA et al.: Health Qual Life Outcomes 2008; 6: 63 12 Wildiers H et al.: J Clin Oncol 2014; 32(24): 2595-603 13 Hamaker M et al.:J Geriatr Oncol 2022; 13(6): 761-77 14 Extermann M (Hrsg.): Geriatric Oncology; Springer: 2020 15 Bellera C et al.: Ann Oncol 2012; 23(8): 2166-72 16 Balducci L, Extermann M: Oncologist 2000; 5(3): 224-37 17 Festen S et al.: Age Ageing 2012; 50(6): 2264-9 18 Wright LM et al.: Hrsg.: Preusse-Bleuler B. Bern: Hogrefe. 2021 19 International Society of Geriatric Oncology (SIOG): 2023. En ligne sur https://siog.org/educational-resources/siog-guidelines-2/ . Consulté en décembre 2023

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