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Thérapies géniques et immunothérapies

Développements actuels dans les cancers hématopoïétiques et du SNC

Le «Swiss Oncology and Hematology Congress» de cette année s’est tenu à Bâle et a été l’occasion d’entendre de nombreux exposés passionnants sur les différentes disciplines. Nous avons réuni ici un résumé des données actuelles et des stratégies de traitement en hémato-oncologie et pour les tumeurs du système nerveux central. Les thérapies géniques et les immunothérapies telles que les traitements par cellules CAR-T et par BiTE sont au premier plan et offrent des résultats prometteurs nécessitant une optimisation.

Keypoints

  • Le succès du traitement par cellules CAR-T dans la LLA-B dépend de différents facteurs, comme la charge de morbidité, le statut de MRM et les traitements antérieurs; le taux élevé de récidive reste un problème.

  • Les traitements par BiTE et par cellules CAR-T montrent des prolongations significatives de la survie dans le myélome multiple r/r.

  • Le micro-environnement tumoral et l’hétérogénéité de la tumeur jouent un rôle dans les traitements par cellules CAR-T dans les tumeurs solides comme le GBM – les traitements combinés montrent les premiers succès.

  • Les métastases intraoculaires sont une urgence thérapeutique et des traitements adjuvants sont nécessaires de toute urgence.

Succès et défis des traitements par cellules CAR-T et par BiTE dans la LLA-B et le myélome multiple

La Pre Dre méd. Claudia Baldus, de Kiel, a présenté un rapport sur les traitements par cellules CAR-T (lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique) dans la LLA-B (leucémie lymphoïde aiguë de type B) réfractaire ou récidivante (r/r) chez l’adulte. En effet, malgré des agents tels que le blinatumomab ou l’inotuzumab, la durée de survie globale des patient·es atteint·es de LLA-B r/r avec chromosome Philadelphie négatif (Ph-) n’a pu être prolongée que de 5,8 à 7,7mois.1

Le brexu-cel (brexucabtagene autoleucel) est autorisé par la FDA depuis 2021 en tant qu’immunothérapie CAR-T pour les patient·es adultes atteint·es de LLA-B r/r (Fig. 1). L’étude d’homologation de phaseII ZUMA-3 menée auprès de 55patient·es a montré une nette augmentation de la survie globale médiane à 18,2mois et une rémission complète (RC) de 71%; la toxicité est élevée, mais acceptable.2

Fig. 1: Homologations des traitements par cellules CAR-T (FDA). Modifié d’après «Mayo Foundation for medical education and research»

Dans une mise à jour de l’étude, l’influence des traitements antérieurs sur le succès du traitement par cellules CAR-T a été évaluée. Les patient·es ayant reçu auparavant du blinatumomab ou de l’inotuzumab avaient un taux de rémission complète inférieur (63% versus 83%; 59% versus 77%); en revanche, des antécédents de transplantation de cellules souches (TCS) n’ont pas entraîné de différence significative (76% versus 71%).3 Le problème majeur du traitement reste toutefois le taux de récidive élevé d’environ 40%.4

Qu’est-ce qui permet de prédire la réponse au traitement par les cellules CAR-T?

Des études menées dans une population plus jeune (7-17ans) ont montré que les patient·es présentant une faible charge de morbidité bénéficiaient davantage d’un traitement par cellules CAR-T. En revanche, un traitement préalable par blinatumomab a également entraîné une diminution du bénéfice d’un traitement ultérieur par cellules CAR-T, probablement en raison de la perte de la molécule cible CD19.5

Une récidive précoce (<6mois) après un traitement par cellules souches, associée à une leucémie agressive et à une faiblesse du système immunitaire, a également entraîné une diminution du succès thérapeutique.6 Les patient·es avec une MRM (maladie résiduelle minimale) négative après un traitement par cellules CAR-T affichaient de très bons résultats.

La surveillance de la MRM et de l’aplasie des lymphocytes B, surtout lorsqu’elles sont combinées, s’avère être un marqueur pronostique important pour le taux de récidive.7 Enfin, la question se pose de savoir si les cellules CAR-T peuvent être considérées comme un traitement autonome ou si elles sont plutôt appropriées pour assurer la transition avant un traitement par cellules souches. Selon C. Baldus, cela dépend beaucoup du contexte.

Le succès des traitements par cellules CAR-T est aujourd’hui considérable, mais chez les patient·es à haut risque, un traitement ultérieur par cellules souches reste probablement inévitable.

Situation actuelle des études sur les traitements par BiTE et par cellules CAR-T dans le myélome multiple

Les patient·es présentant un myélome multiple réfractaire ou récidivant (MM r/r) ont un mauvais pronostic et peu de possibilités de traitement après un traitement par un immunomodulateur, un inhibiteur du protéasome (IP) et un anticorps anti-CD38 (= «triple classe réfractaires»).

Le Dr méd. Rouven Müller, de Zurich, a donné un aperçu des nouvelles options thérapeutiques avec les anticorps bispécifiques BiTE («bi-specific T-cell engager») et les cellules CAR-T. Dans les études de phaseI/II MajesTEC, une population de patient·es fortement prétraité·es a reçu l’anticorps monoclonal bispécifique teclistamab ciblant l’antigène de maturation des lymphocytes B (BCMA, «B-cell maturation antigen»).

Les résultats sont prometteurs, avec un taux de réponse objective de 63%, une RC de 45,5% et une survie sans progression (PFS, «progression free survival») médiane de 11,3mois. L’un des grands problèmes de ces traitements est leur grande toxicité, qui se traduit principalement par des cytopénies, des infections et le syndrome de libération de cytokines (SLC).8

Dans l’étudeMonumenTAL-1, l’anticorps bispécifique talquétamab ciblant les récepteurs GPRC5D («G protein-coupled receptor class C group 5 member D») a entraîné une réponse significative chez les patient·es atteint·es de MM r/r (70% avec une administration hebdomadaire). Le SLC, la toxicité cutanée et la dysgueusie étaient fréquents.9 Un sous-groupe de patient·es ayant déjà reçu une immunothérapie anti-BCMA auparavant a également eu un taux de réponse supérieur à 60%.10

Concernant les approches thérapeutiques par cellules CAR-T, l’étude de phaseIII KarMMa-3 a montré que l’ide-cel (idécabtagène vicleucel) ciblant le BCMA avait significativement prolongé la survie sans progression chez 386patient·es atteint·es de MM r/r fortement prétraité·es (13,3mois versus 4,4mois dans le groupe de schéma standard; Fig. 2).11 Le cilta-cel (ciltacabtagene autoleucel) ciblant également le BCMA a également montré des résultats très encourageants au suivi final à 3ans de l’étude CARTITUDE-1, avec une PFS de 34,9mois et une survie globale médiane pas encore atteinte après plus de trois ans.12

Fig. 2: Survie médiane sans progression (mPFS) avec ida-cel dans le myélome multiple r/r dans l’étude de phaseIII KarMMa-3. Modifié d’après Rodriguez-Otero P et al.11

Quels sont les avantages et les inconvénients des traitements par CAR-T vs BiTE?

Les deux approches présentent des taux de réponse très encourageants. Le traitement par cellules CAR-T nécessite une administration unique, avec un délai dû au processus de fabrication individuel et des effets secondaires souvent graves (SLC/ICANS [syndrome de neurotoxicité associé aux cellules immunitaires effectrices]). Les anticorps bispécifiques (BiTE) sont un traitement «prêt à l’emploi» avec une administration régulière jusqu’à la progression de la maladie. Cela donne lieu à une immunosuppression significative et des effets secondaires (SLC/ICANS) sont possibles. L’infrastructure complexe nécessaire et les coûts élevés sont généralement problématiques pour ces traitements.13

Traitements par cellules CAR-T dans le cas des tumeurs solides

Le Prof. Dr méd. Denis Migliorini, de Genève, a présenté les progrès thérapeutiques réalisés dans le glioblastome multiforme (GBM). Les cibles connues des cellules CAR-T dans le GBM sont IL13Rα2, HER2 et EGFRvIII. Cependant, en raison de l’échappement tumoral, de l’hétérogénéité génétique dans la tumeur et d’un micro-environnement tumoral immunosuppressif, il existe un besoin de nouvelles cibles ou de traitements multivalents à base de cellules CAR-T.14 Afin d’obtenir des traitements aussi efficaces que possible, on essaie désormais de combiner différentes stratégies: des cellules CAR-T multispécifiques, une combinaison de cellules CAR-T et d’inhibiteurs de point de contrôle immunitaire ou de précurseurs de cellules dendritiques (PCD) génétiquement modifiées. Les cellules CAR-T bivalentes pourraient mieux relever le défi de la forte hétérogénéité des tumeurs que les approches monovalentes, en augmentant la population de cellules tumorales positives pour la cible.

Dans une étude d’escalade de dose de phaseI (CTIM40), des cellules CAR-T ciblant à la fois EGFR et IL13Rα2 sont étudiées chez des patient·es atteint·es de GBM récidivant avec amplification d’EGFR. Chez les trois patient·es étudié·es jusqu’à présent, la tumeur avait diminué à l’IRM; le traitement montre des premiers résultats prometteurs.15 L’association avec des inhibiteurs de point de contrôle immunitaire est également déjà testée, puisque le traitement par les cellules CAR-T ciblant EGFRvIII continue de montrer une progression de la maladie dans les études de phaseI et une expression accrue de PD-L1.16

Dans une étude de phaseI menée auprès de sept patient·es atteint·es d’un glioblastome sans méthylation du promoteur MGMT récemment diagnostiqué, les cellules CAR-T ciblant EGFRvIII ont été testées en combinaison avec le pembrolizumab (inhibiteur de PD-1). Les analyses de cellules individuelles ont montré une augmentation des macrophages et une réduction des taux de lymphocytesT après le traitement.17

Un autre traitement d’association comprend des précurseurs des cellules dendritiques (PCD) modifiés produisant FLT3L et IL-12. Les PDC armés de cytokines immunostimulantes se différencient en cellules dendritiques de type I (cDC1) et inhibent la croissance tumorale. En association avec des cellules CAR-T ciblant GD2, la survie a été significativement prolongée dans un modèle tumoral murin.18 Ces nouvelles données illustrent le potentiel des thérapies combinées dans les tumeurs solides.

Tumeurs oculaires malignes – différents types et leur traitement

La Dre méd. Ann Schalenbourg, de Lausanne, a présenté les particularités du traitement de différentes tumeurs oculaires malignes. Le mélanome conjonctival est très rare et fait partie des mélanomes cutanés. Le traitement conservateur consiste en une ablation chirurgicale de la tumeur suivie d’une radiothérapie, d’une cryothérapie ou d’une chimiothérapie topique. Pour le mélanome uvéal, un peu plus fréquent, la protonthérapie donne les meilleurs résultats.

Le risque de métastases à 10ans est d’environ 30%, en fonction des facteurs de risque (comme la perte d’expression de BAP1). Jusqu’à récemment, il n’existait aucun traitement pour les métastases du mélanome, mais l’anticorps bispécifique tébentafusp permet désormais d’obtenir des prolongations de survie étonnantes.19 L’absence de possibilités de traitement adjuvant ainsi que le risque de dissémination lors des biopsies restent toutefois problématiques.

Les lymphomes oculaires, très rares, sont de deux types. Les lymphomes intraoculaires (vitréorétiniens) primaires (LVRP) sont difficiles à diagnostiquer, font partie des lymphomes du SNC et sont généralement des tumeurs de type LDGCB. Extrêmement rare, le lymphome uvéal primaire appartient à la catégorie des lymphomes systémiques à cellules B. Il se caractérise par la présence d’un nombre important de cellules souches. La radiothérapie est efficace dans 90% des cas. La plupart des lymphomes uvéaux proviennent de la zone marginale et ont généralement un meilleur pronostic.

Métastases intraoculaires: une urgence thérapeutique

Les métastases intraoculaires constituent un troisième groupe de tumeurs malignes oculaires. La tumeur primaire est un carcinome mammaire dans 75% des cas chez les femmes et un carcinome bronchique dans 42% des cas chez les hommes.20 Des lésions multiples non pigmentées (rarement pigmentées) indiquent la présence de métastases. Comme elles se développent généralement rapidement et sont agressives, mais que l’œil est relativement petit, les métastases intraoculaires sont toujours une urgence et doivent être traitées rapidement pour prévenir une perte de vision.

Il est également important de localiser avec précision la partie de l’œil qui doit être irradiée – une bonne collaboration entre oncologues, ophtalmologues et radiologues est importante pour le succès. Le développement d’un traitement adjuvant serait ici essentiel pour améliorer le pronostic des patient·es présentant des métastases.

The Swiss Oncology and Hematology Congress 2023, 22–24 novembre 2023, Bâle

1 Gökburget N et al.: International reference analysis of outcomes in adults with B-precursor Ph-negative relapsed/refractory acute lymphoblastic leukemia. Haematologica 2016; 101(12): 1524-33 2 Shah B et al.: KTE-X19 for relapsed or refractory adult B-cell acute lymphoblastic leukaemia: phase 2 results of the single-arm, open-label, multicentre ZUMA-3 study. Lancet 2021; 398(10299): 491-502 3 Shah B et al.: Impact of prior therapies and subsequent transplantation on outcomes in adult patients with relapsed or refractory B-cell acute lymphoblastic leukemia treated with brexucabtagene autoleucel in ZUMA-3. J Immunother Cancer 2023; 11(8): e007118 4 Grover P et al.: Chimeric antigen receptor T-cell therapy in adults with B-cell acute lymphoblastic leukemia. Blood Adv 2022; 6(5): 1608-18 5 Myers RA et al.: Blinatumomab nonresponse and high-disease burden are associated with inferior outcomes after CD19-CAR for B-ALL. J Clin Oncol 2022; 40(9): 932-44 6 Bader P et al.: CD19 CAR T cells are an effective therapy for posttransplant relapse in patients with B-lineage ALL: real-world data from Germany. Blood Adv 2023; 7(11): 2436-48 7 Pulsipher MA et al.: Next-generation sequencing of minimal residual disease for predicting relapse after tisagenlecleucel in children and young adults with acute lymphoblastic leukemia blood cancer. Discov 2022; 3(1): 66-81 8 Van de Donk NWCJ et al.: Long-term follow-up from MajesTEC-1 of teclistamab, aB-cell maturation antigen (BCMA) x CD3 bispecific antibody, in patients with relapsed/refractory multiple myeloma (RRMM). ASCO 2023; Abstr. #8011 9 Chari A et al.: Talquetamab, a T-cell-redirecting GPRC5D bispecific antibody for multiple myeloma. N Engl J Med 2022; 387(24): 2232-44 10 Touzeau C et al.: Pivotal phase 2 MonumenTAL-1 results of talquetamab (tal), agprc5dxcd3 bispecific antibody (bsab), for relapsed/refractorymultiple myeloma (RRMM). EHA 2023; Abstr. #S191 11 Rodriguez-Otero P et al.: Ide-cel or standard regimens in relapsed and refractory multiple myeloma. Engl J Med 2023; 388(11): 1002-14 12 Munshi N et al.: CARTITUDE-1: Final results of Ciltacabtagene Autoleucel in heavily pretreated patients with relapsed/refractory multiple myeloma. EHA 2023; Abstr. #S202 13 Cipkar C et al.: Hematology Am Soc Hematol Educ Program 2022; 2022(1): 163-72 14 Migliorini D et al.: CAR T-cell therapies in glioblastoma: a first look. Clin Cancer Res 2018; 24(3): 535-40 15 Logun M et al.: CTIM-40. Early radiographic response and engraftment of phase i first-in-human bicistronic car t cells correlate with real-time autologous GBM organoid cytolysis. Neuro-Oncology 2023: 25(Suppl. 5): v72 16 O’Rourke DM et al.: A single dose of peripherally infused EGFRvIII-directed CAR T cells mediates antigen loss and induces adaptive resistance in patients with recurrent glioblastoma. Sci Transl Med 2017; 9(399): eaaa0984 17 Bagley SJ et al.: Phase I study of repeated peripheral infusions of anti-EGFRvIII CAR T cells in combination with pembrolizumab in patients with newly diagnosed, MGMT-unmethylated glioblastoma. 2023. ClinicalTrials.gov ID: NCT03726515 18 Ghasemi A et al: Cytokine-armed dendritic cell progenitors for antigen-agnostic cancer immunotherapy. Nat Cancer 2023 19 Nathan P et al.: Overall survival benefit with tebentafusp in metastatic uveal melanoma. N Engl J Med 2021; 385(13): 1196-206 20 Zografos L: Tumeurs intraoculaires. Paris: Elsevier-masson, 2002

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